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L'industrie du troisième millénaire

  in Lyon Mag , juin 2002

 

...Internet qui représente, à l'horizon 2003, un marché colossal car il y aura alors 1 milliard d'internautes dans le monde.
Revue de presse
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LA BOURSE
REVUE DE PRESSE

Thierry Ehrmann
" On dérange tout un système "

Etonnante manipulation, fin mai. Radios et journaux ont tout à coup annoncé que le Lyonnais Thierry Ehrmann, patron du groupe Serveur, implantée à Saint-Romain au Mont d'Or, venait d'être condamné à 1 million d'euros pour plagiat. En fait, cette décision remontait à juin 2000 ! Et il venait au contraire de gagner devant la Cour d'Appel de Lyon.
Manipulation ? Sans doute, d'autant plus que cette affaire, qui a opposé Ehrmann à un éditeur parisien est complexe. Et que les intérêts en jeu sont énormes. A l'origine de cette bataille judiciaire : la création par le groupe Serveur, il y a 7 ans, d'une banque de données accessible au grand public et spécialisée dans les conventions collectives. Un créneau où jusque là les Editions Législatives bénéficiaient d'un véritable monopole avec la complicité des professionnels du droit social. D'où cet affrontement. Interview de Thierry Ehrmann. Pour lui répondre, Lyon Mag' a sollicité Daniel Roux, et Olivier Gaultier le patron des Editions Législatives, qui a refusé de s'expliquer.

Alors vous venez d'être condamné par la Cour d'Appel de Lyon ?
Thierry Ehrmann : Non, au contraire, la Cour d'Appel de Lyon vient de confirmer un jugement qui avait débouté de toutes leurs demandes les Editions Législatives qui demandaient l'arrêt de toutes les banques de données du Serveur Administratif, une filiale du groupe Serveur que j'ai créé en 1987, qui propose au grand public la synthèse de toutes les conventions collectives issues du journal et du bulletin officiel.

Pourquoi les Editions Législatives vous ont attaqué en justice ?
Parce que le patron des Editions Législatives, qui édite des dictionnaires qui font aussi la synthèse des conventions collectives, considère qu'on a purement et simplement copié ses dictionnaires.

Et c'est vrai ?
Non, c'est totalement faux ! En fait, les Editions Législatives défendent un monopole qu'on a fait exploser en diffusant les conventions collectives au grand public sur Minitel et Internet. Du coup, ils s'acharnent pour nous empêcher de diffuser ces informations qui sont totalement libres de droit car cela menace leur petit fonds de commerce qui leur avait permis de gagner beaucoup d'argent sans avoir à affronter la moindre concurrence.

Pourtant vous avez déjà été condamné à payer 6 millions de F pour plagiat dans cette affaire !
C'est vrai. J'ai été condamné à 10 millions de F en première instance et cette somme a été ramenée à 6 millions de F par la Cour d'Appel. C'était en juin 2000. Mais je n'hésite pas à dire que cette décision est scandaleuse.

Pourquoi cette décision judiciaire est scandaleuse ?
Parce que la justice reconnaît à travers cette décision que les Editions Législatives sont le seul éditeur à avoir le droit de publier les conventions collectives. Ce qui revient à reconnaître à cet éditeur le droit de s'approprier totalement le droit social avec ses dictionnaires de conventions collectives. Et c'est un marché énorme de 900 millions de F qui représente un bénéfice de 200 millions de F par an. D'ailleurs, les conventions collectives représentent, rien qu'à elles seules, 50% du bénéfice des Editions Législatives.

Comment vous vous êtes intéressé à ce marché ?
Dans les années 90, je me suis aperçu que toute information sur le droit social était en fai monopolisée par les cabinets d'avocats spécialisés qui étaient les clients des Editions Législatives qui leur vendaient chaque année un classeur recensant tous les changements sur les conventions collectives. Un classeur facturé entre 3 et 5 000F. L'accès aux conventions collective était donc réservé uniquement aux 90 000 professionnels du droit qui avaient les moyens de se payer ces gros dictionnaires. Alors que ces conventions collectives concernent 19 millions de salariés en France qui ignorent la plupart du temps le contenu de ces conventions.

Pourquoi cette ignorance des conventions collectives ?
Parce qu'il y a 550 conventions collectives en France, ce qui fait du droit social un droit monumental qui en plus bouge tout le temps avec des mises à jour permanentes. En effet, c'est un droit qui est élaboré par les partenaires sociaux avec les accord de branches en fonction des professions et des entreprises, mais aussi avec des lois comme les 35 heures qui obligent à tout revoir. Ce qui rend tout ça très difficile à suivre.

Votre idée de départ ?
Synthétiser ce droit pour le rendre accessible au grand public. On a donc fait un travail colossal avec une armée de juristes qui ont travaillé plus de 20 000 heures pour réunir toutes les conventions collectives de France. Puis, on a déposé un logiciel informatique qui permet d'organiser ces données et de les diffuser sur Minitel, CD-ROM ou Internet. L'intérêt, c'était d'avoir un accès facile et direct à ces conventions qui grâce à notre système peuvent être réactualisées chaque jour. D'ailleurs, chaque jour, on remplit l'équivalent de 150 à 200 feuillets à partir des informations publiées dans le journal officiel.

Et ça marche tout de suite ?
Oui, car on s'est lancés dans une grande campagne de promotion sur les bases de données, avec des affiches dans le métro, des spots télé sur TF1, des publicités dans les journaux, des millions de fax envoyés dans les entreprises… On a même diffusé un prospectus qu'on a imprimé à 15 millions d'exemplaires. Et c'est à ce moment-là que les Editions Législatives ont décidé de nous attaquer pour contrefaçon en disant qu'elles étaient à l'origine de la synthèse des conventions collectives et qu'on avait purement et simplement repompé leurs données.

Et ce n'est pas le cas, au fond ?
Mais non. D'ailleurs, on a fait la même chose avec les lois votées par l'Assemblée Nationale, les arrêts de la Cour de Cassation, les annonces légales… Et chaque fois, ceux qui disposent d'un monopole sur le créneau nous attaquent en nous accusant de nous approprier des informations publiques. Mais ces gens-là n'ont jamais compris que pour réaliser ces bases de données, il faut collecter les informations, les synthétiser, les classer et les organiser pour permettre à chacune d'y accéder plus facilement. Ce qui représente des milliers d'heures d'informaticiens, de juristes, de journalistes… Donc, des millions de F d'investissement. Du coup, il ne s'agit pas d'un plagiat comme veulent le faire croire ces gens-là en défendant leur monopole, mais d'une véritable création à partir de données publiques qui n'appartiennent en fait à personne. En effet, pourquoi un texte de loi ou une convention collective serait la propriété d'un éditeur ? C'est absurde !

La principale difficulté que vous avez rencontré ?
Le plus dur, ça a été justement d'affronter tous ces notables dont le pouvoir repose sur la détention d'un savoir : les médecins, les officiers ministériels, les notaires, les commissaires-priseurs, les conseils en propriété industrielle… Et ça a été d'autant plus dur qu'on a été les premiers à s'attaquer à leur monopole.


Vous avez fait l'objet de pressions ?
Oui, de pressions énormes. On ne compte plus les assignations et les procès qu'ils ont engagés contre le groupe Serveur. Exemple : quand j'ai voulu publier les milliers de procès verbaux judiciaires qui sont dressés par les huissiers et les commissaires-priseurs avant les ventes aux enchères, il y a eu une réaction très vive de cette profession.

Vous avez cédé ?
Non, ces informations sont publiques, on n'avait pas à céder à ces notables. J'avoue même que j'ai éprouvé un certain plaisir à défier ces gens-là ! Grâce au Minitel et à Internet, aujourd'hui, tout le monde peut avoir accès à ces informations que jusque là on essayait de cacher. C'est d'ailleurs ce même réflexe qui explique qu'il y ait en France une telle résistance face au développement d'Internet.

L'origine de cette résistance ?
En France, à la différence des Etats-Unis, tout le système est construit sur la rétention du savoir et de l'information. Et beaucoup de gens vivent de ces systèmes, notamment tous ces notables qui sentent bien qu'ils ne vont plus pouvoir préserver leur pouvoir et leurs privilèges face à la montée en puissance d'une information accessible à tous. D'ailleurs, pour eux, Internet est une catastrophe parce qu'il se retrouvent tous nus. Et c'est ce qui explique la réaction des Editions Législatives. Au fond, c'est un débat entre les Anciens et les Modernes et on sait bien que c'est toujours les Modernes qui finissent par l'emporter.

Mais dans cette affaire, les Editions Législatives ont gagné pour contrefaçon !
Oui, mais c'est totalement incompréhensible. Comme on travaille à partir des mêmes données qui sont issues du Journal Officiel, il est normal qu'on arrive à peu près aux mêmes résultats et qu'on emploie les mêmes mots, les mêmes expressions… Mais toutes ces données sont publiques et en aucun cas, elles n'appartiennent à cet éditeur. Le problème en fait, c'est que devant la justice, on n'a pas pu se défendre car les magistrats ont écarté des débats le fait qu'on avait créé un logiciel de banque de données, ce qui démontrait tout le travail qu'on avait apporté.

Mais vous avez quand même causé un préjudice important pour cet éditeur !
Non, une expertise qui a duré trois ans a démontré que le préjudice des Editions Législatives n'était pas démontré par notre arrivée sur le marché, tout en expliquant que si on retrouvait des milliers de termes similaires aux Editions Législatives dans nos bases de données, c'est parce qu'on avait travaillé à partir des mêmes textes qui étaient publics.

Vous pensiez vraiment gagner ce procès ?
Je savais qu'on dérangeait tout un système. C'est pour ça que même en sachant qu'on avait raison, je m'attendais à être condamné. Mais on s'attendait au pire à une réparation symbolique de 150 000F maximum. Mais quand j'ai appris qu'on était condamné à 10 millions de F, j'ai été complètement sonné. Surtout que cette condamnation était accompagnée d'une demande de paiement immédiat, ce qui revient à un assassinat judiciaire. Il faut en effet savoir que cette condamnation est une des plus fortes de toute l'histoire du XX° siècle en matière de propriété industrielle hors brevets. C'était du jamais vu.

Et vous avez payé ?
Oui. J'ai bien été obligé. D'ailleurs au total, avec les frais d'avocats, cette affaire m'a coûté aujourd'hui 18 millions de F. N'importe qui aurait été ruiné par une telle affaire, mais grâce à l'argent que j'ai gagné sur le Minitel, j'ai pu tenir. Mais je peux vous dire qu'aujourd'hui, je ne vais pas en rester là.


Concrètement, qu'est-ce que vous allez faire ?
Les Editions Législatives ont cherché par tous les moyens à nous asphyxier financièrement, en nous envoyons des bataillons d'huissiers. C'était du délire. C'est comme ça que je me suis rendu compte qu'on était au cœur d'un vaste trafic d'influence qui visait à nous empêcher d'accéder au marché des conventions collectives qui est une véritable mine d'or pour certains. En fait, ces gens-là ne défendent pas des principes mais uniquement un business qu'ils veulent se garder pour eux en s'appuyant sur le lobby des professions juridiques. Ce qui est scandaleux. Ils ont d'ailleurs réussi à couler un grand nombre de petites sociétés qui se lançaient justement sur ce créneau. Et ils n'ont pas hésité dans cette affaire à me menacer en utilisant de véritables méthodes de voyous.

Mais vous aussi, vous les avez menacés puisqu'il y a une plainte contre vous ?
C'est vrai que j'ai moi aussi pété les plombs à un moment donné. On me considère souvent comme un original ou un provocateur, mais là, j'ai vraiment eu peur et j'ai réagi à ma manière en utilisant le mêmes méthodes que ces gens-là. Mais face à un tel acharnement et une telle injustice, il y avait vraiment de quoi devenir fou. J'ai pourtant l'habitude des procès, mais là je me suis retrouvé avec 230 actes de procédures sur mes sociétés et sur mes banques, avec des frais d'huissiers qui pouvaient atteindre jusqu'à 150 000F par jour. C'est terrible. D'ailleurs, après cette condamnation à 6 million de F, ils ont continué à s'acharner en me réclamant encore 40 millions de F de dommages et intérêts, mais aussi l'arrêt total du Serveur Administratif. En fait, ce qu'ils cherchaient, c'était notre mort totale.

Où vous en êtes aujourd'hui ?
On vient de gagner sur la demande d'arrêt de toutes les banques de données du Serveur Administratif. Ce qui est une première victoire car la Cour d'Appel reconnaît que le droit social n'appartient pas aux Editions Législatives, ce qui nous permet de continuer à exploiter nos données. Mais on a aussi porté plainte pour faux et usage de faux dans la décision qui nous a condamnés à payer 6 millions de F car les Editions Législatives avaient produit à l'audience un faux document sur lequel le juge s'est appuyé pour nous condamner. On a aussi décidé de contre-attaquer en faisant appel devant la Cour de Cassation et là, on a de grandes chances de gagner, car je ne peux pas croire que des juristes honorables puissent déclarer qu'il y a des droits d'auteur sur la contraction de textes officiels.

Vous êtes optimiste ?
Oui, d'autant plus que nos perpectives sont bonnes. Le Serveur Administratif réalise déjà 1 à 1,2 million d'euros (7 à 8 millions de F) de bénéfice net par an, rien qu'avec les conventions collectives et on continue à se développer, notamment grâce aux 35 heures, qui chamboulent tout le droit social. L'année prochaine, on vise 15 millions d'euros (100 millions de F) de chiffre d'affaires rien que sur ce créneau. Quant au groupe Serveur qui réalise 75 millions d'euros (480 millions de F) de chiffre d'affaires avec 350 salariés, on prévoit toujours de s'introduire en Bourse d'ici la fin de l'année. Et les perspectives n'ont jamais été aussi bonnes avec l'explosion d'Internet qui représente, à l'horizon 2003, un marché colossal car il y aura alors 1 milliard d'internautes dans le monde. Notre métier, c'est en fait la diffusion d'informations publiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Et c'est pour ça qu'on se heurte à l'opposition virulente de quelques notables qui, au contraire, veulent être les seuls à pouvoir en profiter. Mais je crois que cette époque est révolue même si certains résistent encore aujourd'hui.

Propos recueillis par Loïc Tanant

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